PAFE - L'hôtel Dieu

L'Hostel Dieu de Précy


Acte donnant l'autorisation à A. De VaucouleursEn 1664, fut fondé à Précy un établissement que Mgr Nicolas Choart de Buzenval, évêque de Beauvais, fut heureux d'approuver, parce qu'il y voyait avantage pour la classe qui lui inspirait le plus d'intérêt, celle des malheureux. La Dame de Vaucouleurs, qui avait de grandes propriétés en ces lieux, en consacra une partie à la fondation d'un Hôtel-Dieu, où les malades seraient reçus et soignés dans leurs maladies et convalescence, les orphelins accueillis et élevés avec soin, et une école gratuite ouverte pour l'instruction de l'enfance. (Delettre, Histoire du Diocèse de Beauvais, Tome III p.483, Beauvais, Desjardins, 1843).
Le Pouillé du diocèse de Beauvais, établi en 1707, précise « Indult du Cardinal Chigi, Légat en France du 22 août 1664 certifié par les notaires apostoliques Hubert et le Vasseur et signé d'eux avec paragraphes du 27 en suivant le dit indult, portant que Angélique de Vaucouleurs, agée de 55 ans, fort infirme, ayant bâti à ses dépends une maison pour panser les malades, recevoir les orphelins et instruire la jeunesse et promettant y construire un oratoire pour y dire la messe par des prêtres séculiers approuvés, elle désire qu'elle soit érigée en hôpital et qu'on puisse y administrer le sacrement de l'Eucharistie, pour elle, les dits malades et orphelins. Le tout lui est accordé après néanmoins que l'évêque aura visité la dite maison, approuvé le dit hôpital et donné les permissions nécessaires qui ne dureront qu'autant qu'il lui plaira et ce sans préjudice du curé du lieu et de ses droits curiaux, exceptant néanmoins le jour de Pâques et les fêtes plus solennelles si la nécessité le requiert. » (Archives Départementales de l'Oise, série G, Domaines à liquidation et séquestrés, 1790. Etablissements Charitables, Série X, Hospice de Précy 1806 à 1840 et série O, 1805 à 1840 et Plan d'Intendance au 27/03/1786).
Soeurs soignant des maladesLes chroniques paroissiales aidant, nous pouvons distinguer quatre étapes dans l'histoire de la Charité de Précy :
1° la maison où Angélique de Vaucouleurs accueille dès 1648 des pauvres malades,
2° La Charité organisée selon les directives de Louise de Marillac et canoniquement érigée en 1664 par Mgr de Buzenval, évêque de Beauvais,
3° La transformation de la Charité, organisme privé, en Hôtel-Dieu public en 1707 par le Cardinal de Janson, évêque de Beauvais,
4° Sa confiscation, expropriation et vente aux enchères publiques le 12 décembre 1790 lors de la tourmente anti-religieuse de la Révolution Française.
Godefroy HermantIl ressort des Chroniques paroissiales, qu'Angélique de Vaucouleurs avait eu l'occasion de rencontrer Mlle Legras lors de sa visite à Chantilly. Elle l'avait entretenue de l'état misérable des pauvres malades et du nombre d'orphelins livrés à eux-mêmes en sa bonne ville de Précy. Mlle Legras sut la convaincre d'agrandir sa maison et de l'organiser pour pouvoir y accueillir tout ce petit monde malheureux. L'évêque de Beauvais, Mgr de Buzenval, fut sollicité pour donner son approbation. Il vint lui-même à Précy en 1664, accompagné de son ami et conseiller Godefroy Hermant, pour ériger canoniquement La Charité de Précy. Après la messe pontificale célébrée en la Collégiale de Précy, ils furent reçus à la table de François-Henri de Montmorency, seigneur du lieu, qui était venu exprès de Paris pour rencontrer le prélat. Le prince de Condé fut parmi les convives. Il s'entretint longuement avec l'évêque ainsi qu'avec le maître d'école que Madame de Vaucouleurs avait engagé au service de la maison. L'évêque insista surtout sur la nécessité d' apprendre aux enfants la récitation du Pater, de les familiariser avec le symbole des Apôtres et de leur apprendre les rudiments de la Foi.
Statue de la ViergeAvant de monter dans son carrosse pour repartir à Beauvais, l'évêque laissa une importante somme d'argent pour le fonctionnement de la maison.
Madame de Vaucouleurs sut réunir autour d'elle quelques personnes de qualité, désireuses d'apporter un peu de réconfort et d'amitié aux malades et aux orphelins. Elles quêtaient une fois par mois dans la paroisse et plaçaient des troncs chez quelques commerçants tels le boucher, les boulangers et les vignerons. Le reste de leurs modestes ressources provenait essentiellement de dons, de legs, de jubilés, d'amendes de cabarets, de rentes, etc. Le notaire de Précy assistait bénévolement de ses conseils la Charité naissante. Les nombreux vignerons de Précy fournissaient à tour de rôle et souvent avec beaucoup de générosité, le vin du terroir.
En l'église de Précy, le curé avait accepté d'installer un tronc pour les pauvres et les orphelins de La Charité. Certains commerçants, comme le boucher Auger, de Précy livraient chaque semaine la viande et les volailles. Certaines Dames étaient rétribuées pour les soins accordés aux malades. C'étaient surtout des lessiveuses, blanchisseuses et repasseuses. Le maître d'école était rétribué par le curé de la paroisse mais La Charité lui donnait un supplément pour ses leçons auprès des enfants de la Charité.
L'ancien Hôtel-DieuGermain Noël, chirurgien-apothicaire exerçant à Précy et autres lieux était un confident de Madame de Vaucouleurs. Longtemps avant l'érection canonique de la Charité, il soignait gracieusement les quelques pauvres malades et orphelins qu'Angélique de Vaucouleurs avait pris sous son aile. Après la mort de Germain Noël, elle fit appel au Sieur Allou, maître chirurgien de Précy. Elle régla sur ses propres deniers les honoraires du médecin. Les chroniques paroissiales donnent une liste des remèdes utilisés dans la maison : « onguent divinum pour les plaies » - myhre, litharge de vert de gris, racine de jalap purgative, granus de lin, arménicon, asponac, galbanum, « pilule diverse pour maux de crâne, vinaigre de cidre, huile d'olives, mastic ... ».On mentionne également des lavements, pansements, « palettes à soigner d'étain fine » et autres produits utiles aux malades.
Nicolas Choart de BuzenvalLes grosses dépenses de La Charité sont pour la nourriture ; pain, pommes de terre, œufs, lait, viandes, lapins, volailles (poules et pigeons), parfois on achetait du pain blanc, provenant de Chantilly, pour les malades. Les frais de chauffage sont également élevés car les fagots et le gros bois sont chers. L'éclairage se faisait avec parcimonie car la chandelle vaut 1 sol 2 deniers (1692).
Au début ou à la fin de chaque année, les Dames tenaient leur assemblée générale pour approuver les comptes de l' année écoulée. On aurait bien voulu améliorer le mobilier de la maison mais les ressources ne le permettaient pas. Ce mobilier est surtout fait « de literies, matelas, Serges de Mouÿ rouge, couvertures et draps de chaume ou de lin. Quelques traversins de poil de lapin ou de paille d' avoine, des robes de chambre, des bonnets de nuit, des linges pour ensevelir, des potagers et autres récipients ainsi que des écuelles en étain ».
A part quelques armoires, tables et chaises en bois blanc, on n'y trouvait rien d'enviable. Seule une image d'un Christ en Croix suspendue dans la pièce principale ainsi que la statuette de la Vierge assise avec Jésus sur ses genoux placée dans la niche au dessus de la porte d' entrée pouvaient attirer les regards de cette sombre maison aux fenêtres Henri IV.
Quand, le 10 avril 1671, l'évêque Nicolas Choart de Buzenval revient faire une visite et consacrer l'oratoire de la maison, il est ravi de constater la bonne tenue et la parfaite organisation de La Chatte. A son départ, il laisse 5 livres à la trésorerie.
Cardinal Forbin de JansonEn 1686, c'est le Cardinal Forbin-Janson lui-même qui vint visiter La Charité de Précy. Madame de Vaucouleurs lui avait demandé de l'ériger en Hôtel-Dieu. Le Cardinal passa une bonne partie de la journée avec les pensionnaires de la maison. Il prit son repas au milieu d' eux et, en partant pour visiter La Charité de Saint Leu-d'Esserent, il recommanda se s'occuper « avec affection et chaleur des pauvres orphelins à qui il laissa 4 livres
Madame de Vaucouleurs avait alors 77 ans et devait mourir peu de temps après. Dans la tourmente anti-religieuse de la Terreur : « le dimanche 12 décembre 1790, Jacques, Jean-Charles Tellier, sergent de la Municipalité de Précy, a procédé à la vente publique des meubles et effets de La Charité des pauvres du dit Précy... et tout fut vendu aux enchères publiques. »
Felix Bigot de PréameneuLe 15 novembre 1810, le ministre des Cultes Bigot de Préament adresse au Préfet de l'Oise la lettre suivante : « Monsieur le Préfet, j'ai l'honneur de vous adresser ci-joint la pétition de l'Abbé Bombart, désservant de la commune de Précy sur Oise, arrondissement de Senlis, qui sollicite la construction d'un presbytère sur le local (lieu) de l'ancien Hôtel-Dieu de cette commune abandonné ... » (Arch. Départementale de l'Oise, Série E, Dossier 1805-1819).
L'autorisation est donnée peu de temps après. Entre temps, le curé meurt et la cure reste vacante. Le 10 janvier 1820, le maire de Précy (Champion) écrit à Monsieur le Pair de France, Préfet de l'Oise...
« Nous n'avons pas de maison commune ni de logement pour l'instituteur et pour la tenue de son école, que nous avons à loger. Une occasion se présente à la municipalité pour faire l'acquisition d'un local convenable pour les séances du Conseil, l'emplacement des archives, titres, papiers, actes de l'administration municipale, une salle pour les écoles et un logement commode pour l'instituteur et sa famille.
C'est la maison dite de l'Hôtel-Dieu où l' on résidait autrefois les pauvres du lieu dans leurs maladies. Depuis très longtemps, on n'y en reçoit plus. Les administrateurs ont préféré de leur donner les secours à domicile, parce qu'il n'a pas tous le temps des malades de cette classe qu'ils aimeraient mieux souvent rester dans leurs foyers pour y être sollicités par leurs proches et que d'ailleurs l'entretien de la maison, des lits, linges, ustensiles et les salaires d'une garde, pesaient dans les dépenses au dessus des moyens de l'établissement. La commission qui l'administre aujourd'hui sous le nom de bureau de Charité, que j'ai l'honneur de présider, mue par ces motifs et dans la vue d' accroître les revenus des pauvres par le produit de la vente de cette maison et dans l'intention de solliciter l'autorisation pour en faire l'aliénation. De son côté, la commune désire en faire l'acquisition pour se débarrasser des charges défavorables d'une location et se procurer un établissement stable. Elle n'en a pas à la vérité les fonds suffisants pour l'acheter au comptant mais elle proposerait au bureau de Charité de la lui céder moyennant une rente basée sur le prix de l' estimation d'experts à ce dûment appelés. J'ai la certitude que le bureau se prêterait volontiers à des arrangements si des deux cotés les propositions sont agrées par l' autorité. En conséquence, j'ai l'honneur de vous demander, Monsieur le Préfet, votre autorisation ... » signé Champion maire.
Impératrice à l'Hôtel-DieuLe sous-Préfet donna son avis favorable et, le 16 janvier 1820, le Préfet donna son autorisation.
Le 27 mai 1821, le maire de Précy écrit au sous-Préfet que : « la commune dont la population est d'environ 900 âmes est sans ecclésiastique depuis le 11 août 1820 qu'est décédé Mr Bombard, dernier curé et il paraît qu'elle n'en aura pas jusqu'à ce qu'elle se procure une maison et jardin convenables pour le loger. » Or, on envisage de louer pour cet usage une maison voisine de l'Eglise appartenant à Mr Toupie, chirurgien. « Enfin, au moyen des 175 Fr prévus au budget communal pour le logement du desservant, il s'est très convenablement logé - écrit le maire au sous-Préfet le 19 juillet 1824 - dans une maison bourgeoise derrière et près de l'Eglise appartenant au Sr Lacour, commissionnaire au Mont de Piété à Paris qui lui a fait un bail notarié. » (ADO série E).
Telle est l'histoire pieuse et mouvementée de l'Hôtel-Dieu de Précy

PAFE - Les Montmorency

Les MONTMORENCY


Blason des MontmorencyCette illustre famille française fut la plus célèbre de France après la maison royale. Les Montmorency furent seigneurs de l'Ile-de-France proches des rois dès le Xème siècle et, à cette époque, descendants de Charlemagne par les femmes.
Parmi les nombreuses branches de cette famille, il y eut six connétables, douze maréchaux de France, quatre amiraux et vice-amiraux, plusieurs cardinaux et prélats et une maîtresse d'Henri IV, la belle Fosseuse. La branche qui intéresse Précy est celle de Montmorency-Bouteville et Montmorency-Luxembourg. En 1594, Louis de Montmorency, seigneur de Bouteville, Précy, Blaincourt et Bonqueval, Chevalier de l'ordre du roi, fut bailli et gouverneur de Senlis, vice-amiral de France. Il épousa le 4 octobre 1593 Charlotte, Catherine de Lusse (Luxe) née de Charles, comte de Lusse en Basse Navarre et de Claude de Saint-Gelais, fille de Louis de Saint-Gelais. Ce dernier était un fils bâtard du roi François Ier, avec Jacquette de Lansac. Louis de Saint-Gelais de Lusignan était seigneur de Lansac, Précy, Blaincourt et Bonqueval. Il mourut au château de Précy peu de temps après l'assassinat de Henri III, le 5 octobre 1589, et fut inhumé dans le caveau familial en l'église de Précy. Sa veuve lui survécut jusqu'en 1594 et légua tous ses biens à la petite-belle-fille, Charlotte de Lusse qui venait de se marier avec Louis de Montmorency. C'est ainsi que la seigneurie de Précy passa à la maison des Montmorency.
Louis XIIIDe ce mariage naquirent cinq enfants, trois garçons, puis deux filles. A sa mort, en 1615, son fils aîné Henri devait succéder à son frère Louis. Il était bailli et gouverneur de Senlis en 1614 et mourut l'année suivante sans laisser de descendance. Son frère, François de Montmorency, comte de Bouteville, devint alors à son tour en 1616 bailli et gouverneur de Senlis. En 1617, alors qu'il avait 17 ans, il épousa Elisabeth-Angélique de Vienne qui avait dix ans. Elle était la fille de Jean de Vienne, président de la Chambre des Comptes de Paris.
François de Bouteville habitait le quartier de Saint-Eustache dans une dépendance de l'Abbaye de Royaumont, mais fit de nombreux séjours dans son château de Précy en Isle-de-France. Il était célèbre pour sa fougue et son esprit vif et querelleur. Il était pris de folie pour le duel et avait la riposte rapide, tant avec la dague qu'avec l'épée. A vingt quatre ans, il avait déjà dix neuf duels à son actif. L'année de ses vingt cinq ans, il tua quatorze gentilshommes en duel. Or, le duel était interdit en vertu des édits royaux de Louis XIII. Toutes ses audacieuses infractions à la loi restèrent longtemps impunies. Le comte de Bouteville savait qu'il avait de solides protections. Un jour, cependant, le roi ordonna de sévir. Averti, Bouteville rassembla deux cents amis, tous armés jusqu'aux dents, et quitta Paris en plein jour pour se réfugier aux Pays-Bas où il prit du service dans l'armée du Prince Maurice de Nassau. Le parlement le déclara « déchu des privilèges de noblesse, ignoble, roturier et infâme » et le condamna par contumace « à être pendu et étranglé à une potence croisée en place de Grève, son corps porté à Montfaucon, ses maisons démolies et rasées, les arbres de ses propriétés coupés par le milieu ».
Francois de BassompierreTout cela resta sans effet. L'année suivante, le siège de Bréda étant terminé, Bouteville revint à Paris. On ferma les yeux sur ses crimes. A peine de retour, voilà qu'une querelle éclata entre lui et le comte de Torigny. Bouteville reçut de Torigny un coup d'épée en pleine poitrine mais riposta aussitôt et tua son ennemi. Puis il s'empressa de se retirer quelque temps dans son château de Précy, le temps de faire oublier l'événement. Peu de temps après, eut lieu un autre duel contre un certain La Frète qui l'avait provoqué. L'écuyer de Bouteville y fut tué sur place. De nouveau, il se retira à Précy. Le roi ordonna le maréchal Bassompierre d'arrêter Bouteville et de l'amener sous bonne garde à Paris. Trois compagnies de suisses partirent en pleine nuit vers Précy. Bassompierre investit le château et trouva la place vide. L'oiseau s'était échappé pour se réfugier à Bruxelles où une des filles d'honneur de l'infante Archiduchesse était une Montmorency. Il fut agréablement accueilli jusqu'au jour où l'Archiduchesse, avertie par son neveu, le roi de France, ordonna de l'arrêter, lui et son ami. Elle exigea de Bouteville de promettre de ne jamais se battre sur ses terres. La chose fut entendue et une réconciliation solennelle fut organisée par l'Archiduchesse. Les ennemis s'embrassèrent et firent serment de ne plus parler de l'affaire et de ne plus se provoquer. C'était mal connaître l'orgueil de Bouteville. La séance de réconciliation à peine terminée, il donna libre cours à son irrésistible désir de relever l'insulte. Il quitta les Pays-Bas et gagna la Cour du duc de Lorraine à Nancy.
RichelieuDe là, il provoqua son ennemi. Bouteville et Bussy réglèrent leurs comptes par un duel à Paris. Après cela, il s'enfuit à Vitry-le-Brulé. Le roi lança le Grand Prévôt de France à Précy pour l'arrêter, mais on eut beau fouiller le château et les environs, Bouteville était parti. Averti par la mère de Bussy, qui était mort au cours du duel, Bouteville fut surpris dans son sommeil et conduit en prison.
Gaston d'Orléans, le frère du roi, très lié à François de Bouteville, prit sa défense. Les amis et les parents de la maison de Montmorency en firent autant. Le 3 juin, au moment où le roi sortait de la messe, la Comtesse de Bouteville se jeta à ses pieds et le supplia d'épargner le sang de son époux. Louis XIII passa sans tourner le visage. D'autres tentatives de la part du Prince de Condé, du duc de Montmorency, des ducs d'Angoulême et de Ventadour ne changèrent rien à la décision du roi. Richelieu déclara que l'intérêt de l'Etat exigeait un exemple éclatant. Bouteville envoya une lettre au roi pour exprimer son repentir. La comtesse de Bouteville, enceinte de trois mois, fit une dernière démarche. Au rendez-vous, accablée de douleur elle tomba sur le plancher devant Louis XIII. Il sembla ému et déclara : « Leur perte m'est aussi sensible qu'à vous, mais ma conscience me défend de pardonner ».
Le 21 juin 1627, Bouteville gravit les marches de l'échafaud en place de Grève. Sa mort ne changea pas les moeurs. Au contraire, après un court répit, les duels redoublèrent en nombre.
Les archives paroissiales de Précy attestent que son cœur a été enfermé dans un cœur de plomb portant l'inscription « le coeur de Monsieur le Comte de Bouteville » Il a été déposé dans le caveau de l'église où sa veuve venait souvent se recueillir.
L'échafaud en place de GrèveMoins de sept mois après la mort de Bouteville, naquit son fils qu'on nomma « François » comme son père. Les registres paroissiaux précisent qu'il est « né le 8 janvier 1628 au château de Précy et a été baptisé le 21 janvier suivant en l'église collégiale de Saint-Pierre et Saint Paul de Précy... ». Son état chétif et maladif fut la cause du baptême tardif, car à l'époque, on baptisait habituellement le jour même de la naissance. François et ses deux soeurs furent élevés au château de Précy.
Le chef de la maison ducale des Montmorency, maréchal et amiral de France, ayant suivi dans sa révolte Gaston d'Orléans, frère du roi, fut arrêté et condamné à mort le 30 octobre 1632. Par testament, il avait légué une large part de sa fortune et de ses seigneuries à François de Montmorency, comte de Bouteville, seigneur de Précy, mais la sentence capitale entraînant la suppression du testament et la confiscation des biens au profit de la couronne de France, le parlement anéantit ce legs.
Le Duc d'OrléansLouis XIII, pris de compassion, refusa d'user de cette prérogative et restitua la succession aux soeurs du condamné. Le lot le plus considérable échut à Charlotte de Montmorency, princesse de Condé. L'amitié de cette princesse avec Madame de Bouteville fit en sorte que l'indignation des Condé se transforma en prodigalités envers la jeune veuve.
François avait un physique disgracieux, un corps malingre « qu'achevait, dit Saint Simon, de déposer une bosse, médiocre par devant, mais très grosse et pointue par derrière avec tout le reste de l'accompagnement ordinaire des bossus ». La beauté légendaire des Montmorency lui avait échappé, mais de toute sa difformité se dégageait une indéniable séduction. « Son visage respirait la grâce et ses manières raffinées l'ornaient de charme et de galanterie ».
C'est sous l'aile de la princesse de Condé, entouré d'une société incomparable de beaux esprits et de grands du royaume, que s'écoula la plus grande partie de la jeunesse de François. Le château de Chantilly n'avait pour lui aucun secret.
A sept ans, Madame de Bouteville conduisit son fils à la Cour pour le présenter au roi. Le prince de Condé, autrefois très ami avec son père, déclara qu'il « se ferait un plaisir d'élever ce dernier rejeton d'une famille qui lui avait été si chère ». Le roi consentit et Condé l'emmena chez lui, le fit instruire et élever avec tous les soins imaginables, lui faisant particulièrement enseigner l'art de monter à cheval et de manier les armes.
A dix sept ans, le jeune Bouteville tomba amoureux de la marquise de Gouville. « L'incarnat vermeil de son teint, l'éclat de ses yeux noirs, les longues boucles soyeuses de ses cheveux d'ébène excitaient l'admiration de tous ceux qui la voyaient ».
Château de ChantillyL'éclat de l'esprit de Bouteville et ses manières pleines de grâce firent oublier les torts de son physique. Il lui fit une cour discrète mais assidue. La marquise le rechercha de plus en plus « pour ses flatteries et ses compliments ». Qu'on le surnomme « le bossu » ne la gênait nullement. « L'Amour rend aveugle » et les amoureux s'échappaient souvent au château de Précy où ils s'abandonnaient l'un à l'autre « à s'éterniser en baisers brûlants ».
Le château de Précy, à l'abandon depuis le départ de la mère de Bouteville s'élevait dans un écran de verdure. « Son parc qui le séparait du village était renommé pour l'âge et la magnificence des différentes espèces d'arbres. Une roseraie aux innombrables fleurs multicolores et odoriférantes faisait l'admiration des invités ». L'air y était pur et tempéré, la rivière et les bois y entretenaient au plus fort de l'été une sorte de fraîcheur. Tout alentour s'étendaient des plaines fertiles, champs de blé ou vertes prairies semées de bouquets d'arbres centenaires qui se reliaient de proche en proche, aux masses épaisses et sombres de la forêt de Chantilly. « Bouteville et sa marquise s'étendaient tout le jour au bord de l'eau claire et profonde de l'Oise, qui coulait avec une douceur endormie au pied d'un rempart de collines servant d'abri contre de vent du nord ».
Le Grand CondéIls vivaient une passion violente et grandissante jusqu'au moment où Bouteville se ravisa et modéra les chevauchées qu'il faisait avec sa belle dans les sous-bois. Ils s'éloignèrent de moins en moins de Paris et bientôt Précy n'était plus qu'un souvenir. Le caprice se transforma en amitié raisonnable. Condé retira François de la société mondaine et l'emmena avec lui comme aide de camp dans ses campagnes guerrières. C'est ainsi qu'il séjourna pendant six ans à la Cour des Condés à Bruxelles qui était le rendez-vous des princes déchus et l'asile des proscrits. Les enfants exilés de Charles ler d'Angleterre y vivaient, ainsi que Charles IV, duc de Lorraine, alors en guerre avec la France. Quelques années plus tard, Condé arrangea un bon mariage à son protégé sans emploi ni fortune. Il se trouvait que le duché-pairie de Luxembourg, légalement transmissible aux femmes, avait pour seule héritière Marie-Louise de Brantes. Cette dernière avait pris le voile et ne pouvait avoir accès à l'héritage qui restait inutilement en souffrance. Condé obtint une dispense du Pape. Marie Louise de Brantes fut relevée de ses vœux perpétuels, devint dame du palais de la reine avec le titre et rang de princesse. On la nomma chanoinesse du chapitre de Poussay pour éviter toute tentation de mariage. En échange, elle renonça à tous ses droits d'héritage en faveur de sa cadette Madeleine Charlotte qui devint l'épouse de François de Bouteville.
Au lendemain du mariage, le 17 mars 1661, des lettres patentes du roi précisaient qu'il accordait à monsieur François de Montmorency, comte de Bouteville, seigneur de Précy, Blaincourt et Bonqueval, le transfert de nom, titre et armoiries de Luxembourg. Le nouveau duc de Luxembourg, pair de France, fut reçu au parlement et prêta serment le 22 mai 1662 en présence de Condé et de son fils, le duc d'Enghien. Cette séance fut la première et la dernière, car le nouveau duc était en désaccord avec ses pairs sur la préséance à laquelle il prétendait avoir droit . Non content de l'honneur de la duché-pairie, il voulait, du dix huitième rang que lui attribuait l'ancienneté, se porter d'emblée au second, immédiatement après le duc d'Uzès, dont la priorité ne pouvait faire de doute. François de Luxembourg s'appuyait sur les lettres du roi qui n'avaient pas fait en sa faveur une « érection nouvelle » mais le substituaient simplement au lieu et place de ses prédécesseurs dont la pairie datait de 1581. Ce procès de préséance, appelé « l'affaire des tabourets » devait sommeiller pendant 32 ans.
Château de VersaillesComblé d'honneurs, Luxembourg vit habituellement dans son splendide domaine de Ligny en Lorraine, où il mène un train de vie quasi royal, entouré de son épouse et de ses quatre fils, sur qui pleuvent les bienfaits du roi.
L'été, il fait des séjours prolongés à Précy pour jouir des bienfaits de la campagne et des réceptions au château de Chantilly. A Paris, il a une résidence dans le vaste et luxueux hôtel qu'il possède rue Saint Honoré. C'est là qu'il traite des affaires avec les grands et les belles de ce monde, car malgré tous ses efforts, Luxembourg n'avait pas réussi à se faire admettre à la Cour de Versailles. La cour l'admire tout en le craignant. Sa célébrité d'homme de guerre et de génie qu'on lui reconnaît n'a pu lui valoir ni l'estime ni la sympathie de ses contemporains. Les cruautés exercées autrefois aux Pays Bas et la malédiction des peuples ravagés attachaient, même en France, une sanglante légende à son nom.
LouvoisRien d'étonnant, de ce fait, à ce que le duc de Luxembourg ait suscité la méfiance et la suspicion dans « l'affaire des poisons ».
Une épidémie de décès suspects amena dès 1679 le lieutenant de Police La Reynie à placer des mouches - autrement dit des indicateurs - dans divers quartiers de Paris. On finit par arrêter la marquise de Brinvilliers, qui avoua tout sous la torture. Comme il s'agissait d'un complot contre le roi, la marquise fut exécutée. Trouver les complices était plus difficile. Paris comptait à peu près quatre cents « devineresses » qui faisaient commerce d'onguents, poudres, philtres et herbes sophistiquées. Elles procédaient à des avortements, des messes noires, prédisaient l'avenir, donnaient des philtres d'amour, des talismans, et des secrets pour se débarrasser d'amants compromettants etc... Paris vivait sous la crainte et l'effroi. Tout le monde soupçonnait tout le monde. On voyait partout des magiciens, des empoisonneurs, et des suppôts de Satan.
C'est dans ce contexte qu'on découvrit que le duc de Luxembourg fréquentait les milieux louches où voyantes et magiciens exerçaient leurs talents et permettaient même de parler au Diable.
La rencontre fatale eut lieu le 31 janvier 1676. Luxembourg s'était rendu chez Madame du Fortet pour rencontrer un personnage qui prétendait dire la bonne aventure et beaucoup d'autres choses. Le magicien demanda à Luxembourg de consigner sur papier toutes les demandes et questions qu'il voulait. Au procès, Luxembourg affirme dans son récit que « le billet n'avait trait qu'à des affaires de femmes ». Les témoignages devaient confirmer qu'il s'agissait de « sottises » concernant l'amour et rien d'autre, et que le magicien était « un fripon qui ne sait rien ». Luxembourg est en campagne lorsque le magicien Lesage est arrêté avec La Voisin. On les avait épiés depuis de longues semaines.
La VoisinLa Voisin avouera avoir brûlé dans son four ou enterré sous son parterre plus de deux mille nouveau-nés. L'interrogatoire, les perquisitions se succèdent et aboutissent à des découvertes d'empoisonnement et de forfaits en tous genres. La répression va grand train. La Vigoureux, grande criminelle, élève de La Voisin est mise à la question et meurt au milieu d'horribles souffrances. Son acolyte, la femme Bosse, est brûlée vive en place de Grève. Aucune des sorcières n'a accusé Luxembourg. L'énigme demeure. Brusquement, Lesage et Lavoisier changent de tactique et accusent le duc de Luxembourg. Ils espéraient ainsi sauver leur peau. Le ministre Louvois fut ravi de cette accusation. Espérant pouvoir perdre son ennemi, il demande à Lesage d'accabler Luxembourg en contrepartie de sa liberté. Lesage, enfermé à Vincennes, se prête volontiers aux accusations suggérées par Louvois.
Puis les commissaires, fouillant chez lui, tombent sur le billet signé du nom du maréchal de Luxembourg, mais que Lesage avait habilement falsifié et déposé de manière à le trouver facilement. Le billet porte en effet ni plus ni moins, que Luxembourg se donne au diable.
Madame de MaintenonLuxembourg sollicite la permission de s'expliquer avec le roi. La Cour était alors à Saint-Germain. Le roi le reçoit avec bienveillance et lui communique les charges portées contre lui. Le maréchal affirme que rien n'est fondé dans ces accusations, et qu'il est victime d'une machination.
Un jour, sans trop savoir pourquoi, - si ce n'est sans doute à cause des scrupules religieux du roi - le duc retrouve les grâces du Roi. Il reçoit le gouvernement de la Champagne et le Collier de l'Ordre du Saint Esprit (1688). Du coup, Madame de Maintenon lui témoigne à nouveau son amitié. Peu de temps après, Louis XIV le nomme à la tête de l'armée des Flandres. Pendant la campagne dans les Flandres, Luxembourg s'installa à Deynze sur la Lys, à quelques lieues de Gand, où se trouvaient les Espagnols. Lorsque les cavaliers français débouchèrent devant les murs de Deynze, la kermesse battait son plein et le peuple était en liesse. « Les habitants furent tout surpris de voir les gens qui marquaient leur maison avec de la craie et demandèrent ce que cela voulait dire. On leur répondit que ce n'était rien, qu'ils pouvaient toujours se divertir et qu'il allait venir, pour être à la fête, cinquante mille hommes avec soixante pièces de canon ».
Le Duc de LuxembourgLes soldats du maréchal ont laissé un triste souvenir à Deynze. Les vols, le pillage et les incendies se sont multipliés au cours de la Campagne. Les déprédations opérées dans les églises et les monastères ainsi que les violences exercées sur les habitants, provoquèrent l'indignation du maréchal qui exigea réparation et restitution. De Deynze, il se dirigea avec ses troupes sur Gand et campa au château de Zwijnaerde aux portes de Gand. Il avait réquisitionné cette résidence d'été des évêques de Gand pour s'installer avec son état major et y préparer l'attaque de l'ennemi. Durant cette Campagne, le duc de Luxembourg connut le succès et la victoire. La « Journée de Fleurus » est une des plus belles de sa vie. C'est là que son génie et son instinct de puissant stratège guerrier éclata aux yeux de tous. Louis XIV lui confia alors l'éducation militaire et guerrière des deux jeunes princes de son sang, le bien-aimé duc du Maine et son neveu le duc de Chartres, Philippe d'Orléans, futur régent de France en 1715, qui n'était encore qu'un enfant.
En 1693, deux ans avant sa mort, on relança le procès de Préséance. Le procès était ridicule et haineux. La soif d'honneur et de pouvoir des uns et des autres s'étalait au grand jour devant les juges et devant le peuple. Après d'interminables péripéties, le duc fit intervenir le roi qui lui avait à maintes reprises témoigné sa satisfaction pour les victoires et les services que le maréchal avait donnés à la France. Aussi le combat juridique finit de procédure en procédé. La Campagne des Flandres donnant raison au maréchal, « l'affaire des tabourets » se termina en queue de poisson.
Plaque de l'Ordre du St EspritLe retour glorieux des Flandres est marqué par le souci de l'établissement de ses cinq enfants. On aurait dit que l'homme sentait venir sa fin, alors qu'il était en parfaite santé.
Son fils aîné, le duc de Montmorency, veuf de la fille du duc de Chevreuse est riche à millions. Son deuxième fils, Thibaud de Luxembourg a été pourvu de l'abbaye d'Ourscamp et de la grande maîtrise de l'Ordre du Saint-Esprit de Montpellier. Le dernier de ses enfants, le chevalier de Luxembourg, le seul qui a, dit-on, hérité à la fois la bosse et l'esprit de son père, n'est pas encore en âge pour qu'on s'occupe d'une manière pressante de son avenir.
Le comte de Luxe, Christian Louis de Montmorency de Luxembourg, a reçu une grave blessure pendant le combat à Neerwinden, ce qui lui donne l'espoir d'une belle carrière. La sœur du maréchal aimait ce neveu et fit en sorte qu'avec quarante mille livres de rente et un titre ducal, il puisse se marier avec Marie-Anne de la Trémoille.
Sa fille Angélique Cunégonde, maigrement dotée est laide et pas assez jeune, pour être à marier. Il réussit cependant à la marier à Louis de Soissons, comte de Dunois, prince de Neufchâtel, au prix de quelques sacrifices...
Louis BourdalouePeu de temps après ces arrangements et mariages, le maréchal, qui était à Versailles dans son appartement, fut pris de frissons et de fièvre. Son médecin diagnostique une inflammation du poumon. Le roi lui envoie son médecin personnel, qui confirme qu'il s'agit bien d'une « pluripulmonie avec abcès dans la poitrine » (pleurésie purulente). Il pratique une saignée, puis quatre autres les jours suivants. Le maréchal réclame alors le Père Bourdaloue qui, après une confession générale, lui donna les derniers sacrements. Sur ce, le maréchal dicte son testament à François Manille et Mathurin Lamie, « gardes notes du roi à Versailles ». Les dispositions testamentaires terminées, il signe l'acte d'une main assurée.
Vers la tombée du jour, il tombe en agonie. Entouré de sa vieille maman la comtesse de Bouville qui a quatre-vingt sept ans, de tous ses enfants, de sa sœur Madame de Mecklembourg, du cardinal de Bouillon et du Père Bourdaloue, il expire à sept heures du matin le 4 janvier 1695 à huit jours de ses soixante-sept ans. Son corps fut porté à Ligny en Barrois et son service funèbre fait chez les Jésuites de la rue Saint-Antoine à Paris. Marc Antoine Charpentier a composé la musique qui précéda l'oraison funèbre prononcée parle Père de La Rue. Le même jour, on célébra un Requiem solennel en l'église de Précy qui était tendue de draps de velours noir, chargés des armoiries du maréchal entrelacées de bâtons de maréchal de France et d'alérions dorés. Une litre aux armoiries du maréchal fut peinte au dessus des colonnes de la nef centrale. On en voit encore les traces aujourd'hui. Le dernier Montmorency, duc de Beaumont, prince de Montmorency-Luxembourg, mourut en 1878. Sa fille la vicomtesse de Durfort Civrac, morte en 1921, fut la dernière des Montmorency.
Bataille de RocroiIl ne subsiste aujourd'hui que deux des trophées qui valurent à Luxembourg le surnom de « Tapissier de Notre Dame », faisant allusion à l'usage sous l'ancien régime d'accrocher les drapeaux pris à l'ennemi aux voûtes de Notre Dame de Paris. L'un est le drapeau pris à la bataille de Rocroy. On peut l'admirer au château de Chantilly. L'autre fut trouvé par Viollet Le Duc dans les combles de Notre Dame lors de sa restauration au XIXème siècle. Il le baptisa « drapeau de Charles le téméraire » et l'envoya sous ce nom au musée de Cluny où il se trouve encore. Il s'agit en fait d'un drapeau flamand du XVIIème siècle, provenant de la bataille de Neerwinden, Steenkerke ou Fleurus. Les trophées qui ont disparu sont représentés dans le « Recueil des triomphes de Louis XIV », au cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France.

PAFE - Saint Gelais

Louis de Saint Gelais
Seigneur de Précy 1570-1589
(1513 - 1589)

 

Louis de St GelaisLe plus attachant seigneur de Précy est sans aucun doute le fils naturel du roi François ler, demi-frère du roi Henri II, et oncle des rois François II (+1560), Charles IX (+1574) et Henri III (+1589).
Le futur roi François ler avait dix-huit ans lorsqu'il succomba aux charmes de la belle Jacquette de Lansac, épouse d'Alexandre de Saint-Gelais, chambellan et conseiller du roi Louis XII. Ce diplomate apprécié à la Cour de France fut très souvent absent de son foyer à cause des missions qui lui furent confiées. Son épouse Jacquette devint ainsi pour un moment l'ensorcelante maîtresse du jeune François d'Angoulême à qui elle donna un fils, Louis, qui porta le nom de son mari Alexandre de Saint-Gelais de Lansac
Francois IerFrançois, marié à Claude de France, fille du roi Louis XII, succéda à son royal cousin, mort sans descendance. Lorsqu'en 1522 Alexandre de Saint-Gelais mourut, François Ier nomma aussitôt son jeune fils Louis, qui n'avait que neuf ans, comme garde du sceau de la Chancellerie de Bordeaux et confia à Jacquette la jouissance de ses revenus sa vie durant. Né en 1513 à Cornefou ou à Cognac, le jeune Louis, on s'en doute, reçut une éducation princière. Dans le contexte de la Renaissance, il reçut une formation humaniste. Il parlait l'italien, l'espagnol, le latin, l'anglais et l'allemand, et fut aussi habile avec son épée qu'avec son cheval.
Louis était un homme sensible, amateur éclairé d'art et de lettres, séduisant, d'une intelligence remarquable, éloquent, et poète à ses heures. Son portrait de l'atelier de François Clouet, au musée du Louvre, nous le présente plein de réserve et de distinction. (Inv. 3270. B. H. 0, 315X1).
Lansac est également un homme de guerre, un militaire qui gravit tous les grades. Présent aux batailles de François Ier contre Charles Quint ou pour organiser la représentation de la Guyenne à propos du sel, il est toujours prêt à défendre les intérêts du roi. Il est renvoyé en mission à Londres pour sonder les prétentions d'Élisabeth, reine d'Angleterre sur l'Écosse, dont la reine Marie Stuart, âgée de neuf ans, est fiancée au futur François Il qui a sept ans. C'est également lui qui est chargé d'instruire Édouard VI de la position française en faveur de l'Écosse pour que Marie Stuart garde son royaume.
Charles QuintAmbassadeur extraordinaire à Rome, il est chargé de renouer  les liens diplomatiques avec le pape Jules III et d'obtenir sa neutralité dans le combat contre Charles Quint. « Jules III remercia Henri II de la bonne grâce de son envoyé et lorsque M. de Lansac prit congé le 28 juillet, le Pape détacha de son doigt un diamant précieux et lui offrit. » (Sauzé de Lhoumeau).

Il fut maire de Bordeaux de 1556 à 1557. C'est lui qui conduisit le cortège funèbre portant à Saint Denis son jeune roi François qui fut à la fois son neveu, son élève et son roi.
En 1559, il accompagne Élisabeth de Valois, la jeune soeur du roi, donnée à quatorze ans comme épouse à Philippe II d'Espagne. Conscient que la transaction était purement politique, Saint-Gelais qui fut interprète à la cour d'Espagne, fit en sorte qu'elle soit traitée avec les honneurs dus à son rang. Il ne la quitte qu'en 1560. Elle mourut en 1568.
Jules IIILouis de Lansac fut en somme un fin politique lié aux évènements complexes de ce XVIe siècle. Sa correspondance politique a été publiée par Sauzé de Lhoumeau dans les « Archives historiques du Poitou » - Tome 33, 1904. A.D.D.S.
Il eut huit enfants : quatre avec sa première femme, Jeanne de la Roche-Andry (1563) et trois de son second mariage en 1565 avec Gabrielle de Rochechouart, puis un fils naturel, Urbain, né en 1540, qui deviendra évêque de Saint Bertrand de Cominges.

Joachim du BellayC'est grâce à Antoine de SAINT-SIMON, dont la famille et les ancêtres étaient à l'honneur à la cour de François Ier, que Louis de saint Gelais a pu acquérir en 1570 la seigneurie de Précy avec ses droits et dépendances à Bonqueval et Blaincourt. Cent vingt ans auparavant, Louis de Précy, n'ayant pas de descendants, avait également cédé la seigneurie de Précy aux SAINT-SIMON de ROUVROY qui, les uns après les autres, ont très peu habité le château de Précy en ruines.
Précy devint alors la résidence préférée de Louis de Saint Gelais, même si ses autres châteaux étaient plus grandioses ou luxueux. Il aimait séjourner à Précy pour s'y reposer loin du tumulte et des intrigues de la Cour. Joachim du Bellay, le poète des regrets, qu'il avait rencontré dans son ambassade à Rome, lui dédia une Ode de 144 vers où il l'appelle « l'Honneur de Saintonge ». Ronsard, puis Montaigne, furent ses hôtes en 1573 au château de Précy. Son fils s'était marié avec la fille du Seigneur d'Azay-le-Rideau. Ceci explique sans doute pourquoi Louis de Saint Gelais fit appel aux maîtres d’oeuvre d'Azay-le-Rideau pour construire son manoir à Précy sur l'emplacement du castel féodal démantelé et en grande partie démoli vers 1430.
Catherine de MedicisC'est également lui qui fit reconstruire trois des cinq nefs de l'église de Précy, incendiée par les Anglais au cours du XVe siècle pendant la guerre de Cent ans.
Parmi les missions délicates confiées par Catherine de Médicis agissant au nom du Roi, il en est une qui concerne la succession du trône. À ce moment, Louis de Lansac était tombé en disgrâce auprès du Roi. En 1581, devant les dépenses somptuaires d'Henri III, il n'a pas hésité à lui reprocher l'énormité des taxes que le peuple avait à supporter. Le Roi l'avait fort mal pris et avait prononcé à son encontre des paroles fâcheuses. Lansac en tomba gravement malade.
Les politiques et les aristocrates étaient divisés. Certains souhaitaient une république, d'autres une substitution de branche : Henri III détrôné au profit des Bourbons ; les uns penchant pour Henri de Bourbon, roi de Navarre, les autres pour son oncle le Cardinal Charles de Bourbon.
Cette guerre de succession connut différents soubresauts. Henri III, l'efféminé aux nombreux mignons, hésita entre la Ligue Catholique soutenue par les Guise, et les Huguenots soutenus par Henri de Bourbon, le béarnais.
Henri IIILouis de Saint-Gelais, ambassadeur auprès du Saint-Siège, avait assisté au Concile de Trente. Il en était revenu après une humiliation diplomatique, puis il avait à nouveau été envoyé à Rome pour acheter les suffrages (les voix) du Conclave en faveur du candidat français, le Cardinal archevêque de Canterbury, qui joua un rôle très important dans la lutte contre le protestantisme. Il avait échoué dans cette mission mais, cette fois-ci, avec le concours de la Ligue Catholique et le soutien du Roi Philippe II d'Espagne, il revendiquait le trône de France pour le Cardinal de Bourbon.
Charles de Bourbon était évêque de Beauvais depuis le jour où Charles IX s'était pressé de remplacer l'évêque Odet de Châtillon qui était passé au Calvinisme. Il voulait un évêque prêt à extirper le protestantisme de Beauvais (1569) et utilisait ainsi Saint-Gelais pour faire croire qu'ils voulaient imposer les Décrets du Concile de Trente alors qu'en réalité les évêques Gallicans, tout comme les Huguenots, contestaient la suprématie pontificale. Quant à Saint-Gelais, sa position était hésitante.
Massacre de St BarthelemyEntre-temps, le Duc de Guise s'était autoproclamé lieutenant de l'état royal et de la couronne de France. Il essaya dans un dernier soubresaut d'imposer le Cardinal Charles de Bourbon comme « Bon Roi de France » sous le nom de « Charles X ». Il devait prendre possession du trône aussitôt qu'on l'aurait sauvé de la prison où ses ennemis le retenaient. Ce remue-ménage ne servit à rien. Catherine de Médicis y mit alors son grain de sel.
Elle décida de marier sa fille Margot (Marguerite de Valois) au roi Henri de Navarre en exigeant la conversion du Béarnais. Ce fut fait le 19 août 1572. Le 23 août, le roi convoqua le Conseil privé qui décida de la Saint-Barthélemy. Louis de Saint-Gelais « est même de ceux qui tiennent la main-forte à l'entreprise ». (De Thou). Henri de Navarre avait échappé à la sanglante Saint-Barthélemy et à beaucoup d'autres tentatives d' élimination.
Paris, asservi par les ligueurs, était sur le point de tomber quand la foule, dans un sursaut de révolte et d'écœurement, se dressa contre Henri III qui avait commandité l'assassinat du duc de Guise. Le prince de Condé voulut lui aussi une revanche personnelle contre le roi et ses mignons sodomites. Comment pouvait-il oublier que le duc d'Anjou, l'actuel roi de France, avait fait porter sur le dos d'une ânesse, le cadavre de son père assassiné à la Bataille de Jarnac (1569), bras et jambes pendantes, et qu'il avait ainsi laissé exposé aux insultes des Catholiques devant une église. On avait, à la mort de ce prince protestant, chanté le Te Deum dans toute la France. Le peuple, écoeuré et ruiné par les guerres, réclama la mort du roi tyran. Dans les églises, on chantait des psaumes de pénitences pour obtenir une intervention divine.
Jacques ClémentLes curés plaçaient le portrait du roi sur les autels et faisaient des cérémonies d'envoûtement comme s'il était l'incarnation de Satan.
Paris ne manquait pas de fanatiques hantés par l'idée du meurtre. Jacques Clément, un Jacobin de vingt-trois ans, décida de passer au régicide. On lui obtint un passeport. Introduit dans la chambre du roi, il se prosterne, demande d'écarter les gens pour délivrer un message secret au roi. Comme le roi se penche alors vers lui pour mieux l'entendre, il lui donne un coup de poignard dont il devait mourir. Le roi mourant eut le temps de convoquer Henri de Navarre pour l'engager à se convertir au catholicisme. Il l'embrassa et le reconnut comme son successeur.
Armoiries St GelaisL'assassinat d'Henri III jeta l'armée royale dans la stupeur et la consternation. Que faire ? Un fait était certain : la couronne appartenait de droit à Henri de Bourbon, roi de Navarre, alors que toute la Cour savait que Louis de Saint-Gelais était le seul fils naturel survivant du roi François Ier. Seulement, il n'avait pas la légitimité...
Puis, sur la promesse formelle par laquelle Henri de Navarre s'engageait à maintenir la religion catholique et à ne permettre l'exercice du culte calviniste que conformément aux décrets du défunt roi, la presque totalité de l'armée le proclama roi de France sous le nom d'Henri IV et lui prêta serment de fidélité.

Le corps d'Henri III fut conduit à Compiègne pour y être déposé provisoirement. Nicolas Fumée, évêque de Beauvais, accompagnait Henri IV et célébra les funérailles du roi assassiné. Quand le cortège funèbre traversa le Beauvaisis pour se diriger vers Compiègne, Clermont lui refusa de passer près de ses murs. Indigné par ce refus, Henri IV se vengea de l'affront qu'on venait de lui infliger et prit de force le château et la ville.
Henri IVLouis de Saint-Gelais s'était entre-temps retiré des affaires publiques et s'était réfugié à Précy. En 1586, son château de la Motte fut assiégé par les Huguenots et celui d'Exoudun pris par le roi de Navarre. Sa santé fortement ébranlée ne lui permit pas de surmonter les échecs et les épreuves. Il mourut au château de Précy le 5 octobre 1589. Il fut inhumé en l'église de Précy où son mausolée fut détruit et sa sépulture violée pendant le vandalisme de la terreur révolutionnaire. Son écu figure sur la façade nord de l'église et ses armoiries trônent dans la tour hexagonale du château de Précy. Il portait écartelé au premier et au quatrième d'azur à la croix alaisée d'argent, qui est de Saint-Gelais, et au deuxième et au troisième burelé d'argent et d'azur des dix fasces, au lion de gueules, armé, lampassé et couronné d'or, qui est de Lusignan. Un cordon entoure son blason. C'est celui de l'Ordre du Saint Esprit que le roi Henri III avait créé en 1578 pour honorer ceux des courtisans qui combattaient les protestants. Pour ses adversaires qui réclamaient à un moment donné des preuves de sa haute noblesse, il met sur son blason à côté de la croix des Saint-Gelais, les armes des Lusignan, ses ancêtres, et sur son heaume figure la fée Mélusine dissimulant une partie de sa queue de serpent dans le cuvier de son bain.

Armes St Gelais de LusignanAvec la mort de Louis de Saint-Gelais de Lusignan, une page est tournée, un siècle est passé. Coligny était massacré à la Saint Barthélemy (1572), Marie Stuart avait été décapitée (1587), le duc de Guise était assassiné (1588), Catherine de Médicis devait mourir quelques jours après son fils le Roi Henri III poignardé en août 1589. Henri de Navarre abjure définitivement le protestantisme (1593), se fait sacrer roi à Chartres et fait son entrée triomphale à Paris en 1594. Il fut roi de France jusqu'au 14 mai 1610 lorsqu'il fut à son tour assassiné par Ravaillac qui croyait ainsi sauver la religion catholique.
Ce XVIe siècle reste dans l'Histoire du catholicisme un des plus sombres et des plus sanglants. Ce fut un siècle d'embrouilles tragiques tant sur le plan intérieur où les abominables guerres de religion divisaient les Français, que sur le plan extérieur où toute l'Europe s'unit pour résister à l'envahisseur ottoman qui veut imposer l'islam
Le conflit entre l'Europe chrétienne et le monde islamique inaugure à ce moment-là l'interpénétration sanglante et parfois terroriste de ces deux civilisations à travers les siècles.

PAFE - Les éperons d'or

1302 - Les éperons d'or


Le beffroi de BrugesToute l'Europe a entendu parler de « la bataille des Éperons d'Or ».
Tout commence par « les Matines Brugeoises », aux premières heures du matin de ce 17 mai 1302, au moment où les moines chantent l'office des Matines alors que la fière cité de Bruges était encore plongée dans la nuit. Le roi Philippe le Bel était il y a quelque temps venu sceller son alliance avec les « Leliaerts », les partisans du Lys, partisans d'une Flandre plus proche de la France que de l'Angleterre. C'était sans compter avec le petit peuple et la bourgeoisie, ceux qu'on appelait les « Klauwaerts » (allusion aux griffes du Lion de Flandre) et qui voulaient qu'on respecte l'indépendance du gouvernement de la Flandre qui avait été accordée en 1256 par le roi Louis XI par l'« édit de Péronne ». Ces Flamands avaient choisi le camp des Anglais avec qui ils faisaient un commerce florissant.
La guerre avec l'Angleterre, la tentative de blocus maritime et l'abcès de fixation en Flandre où les services français d'occupation exaspéraient la population aboutirent à la « Bataille des Éperons d'Or » le 11 juillet 1302 dans la plaine de Courtrai.
La Bataille des éperons d'orLes « Matines Brugeoises » sont le signal. Elles débutent dans la nuit : le mot de passe était « Schild en vriend » - Bouclier et ami. Celui qui ne les prononçait pas correctement fut massacré sur le champ.
L'armée française, en garnison à Bruges, fut ainsi massacrée en plein sommeil. On parle de 1.500 morts et de 100 prisonniers. Le gouverneur Jacques de Châtillon eut tout juste le temps de s'enfuir derrière les murailles de la ville de Courtrai où s'étaient regroupées les troupes de Guy de Namur, fils du Comte de Flandre.
Quand Philippe le Bel apprend le massacre, il lève aussitôt son armée recrutée en Artois, en Normandie, en Picardie et en Flandre (les Leliaerts) et, avec les chevaliers Français, il engage la bataille le 8 juillet 1302 vers midi. La cavalerie française, sous le commandement de Robert d'Artois et Jacques de Châtillon, se trouva au centre du combat, essayant de rompre le front flamand protégé de planyons à picots (sortes de piques terminées par une pointe de fer). Les flèches flamandes « obscurcissaient le ciel » frappant les chevaux et les cavaliers Français qui tombaient emmêlés dans la boue de ces terrains marécageux, coupés de ruisseaux et de fossés.
Philippe le BelLes Flamands avançaient au cri de : « Tuez tout ce qui porte éperons ! ». Robert d'Artois et Jacques de Châtillon y sont touchés à mort ainsi que 68 princes et seigneurs : parmi eux le Seigneur de Précy qui fut tué d'un coup d'épée pendant que son cheval s'enfonçait dans le marais. A lui comme aux 1.100 chevaliers, on enleva les éperons d'or. On en trouva 700 qui furent suspendus tels des trophées, à la voûte de l'église Notre-Dame de Courtrai.
Un an plus tard, Philippe le Bel prit sa revanche et essaya de régler ses comptes avec les Flamands à Mons-en-Pévèle.
Il les surprit avec mille hommes mais c'était une bataille sans vrai vainqueur où les Flamands perdirent leur chef.
Le traité d'Athis-sur-Orge obligea Lille, Douai, Ypres, Gand et Bruges d'abattre leurs murs de défense.
Lille, Douai et Béthune, Cassel et Courtrai restaient entre les mains du roi de France.
C'est ainsi que la Flandre, l'Artois et la Picardie seront encore longtemps « Terres de débats », partagés, divisés, rançonnés par les voisins du sud, du nord, de l'ouest ou de l'est ; toujours par intérêt politique ou commercial, ou par jalousie.