Les MONTMORENCY
Cette illustre famille française fut la plus célèbre de France après la maison royale. Les Montmorency furent seigneurs de l'Ile-de-France proches des rois dès le Xème siècle et, à cette époque, descendants de Charlemagne par les femmes.
Parmi les nombreuses branches de cette famille, il y eut six connétables, douze maréchaux de France, quatre amiraux et vice-amiraux, plusieurs cardinaux et prélats et une maîtresse d'Henri IV, la belle Fosseuse. La branche qui intéresse Précy est celle de Montmorency-Bouteville et Montmorency-Luxembourg. En 1594, Louis de Montmorency, seigneur de Bouteville, Précy, Blaincourt et Bonqueval, Chevalier de l'ordre du roi, fut bailli et gouverneur de Senlis, vice-amiral de France. Il épousa le 4 octobre 1593 Charlotte, Catherine de Lusse (Luxe) née de Charles, comte de Lusse en Basse Navarre et de Claude de Saint-Gelais, fille de Louis de Saint-Gelais. Ce dernier était un fils bâtard du roi François Ier, avec Jacquette de Lansac. Louis de Saint-Gelais de Lusignan était seigneur de Lansac, Précy, Blaincourt et Bonqueval. Il mourut au château de Précy peu de temps après l'assassinat de Henri III, le 5 octobre 1589, et fut inhumé dans le caveau familial en l'église de Précy. Sa veuve lui survécut jusqu'en 1594 et légua tous ses biens à la petite-belle-fille, Charlotte de Lusse qui venait de se marier avec Louis de Montmorency. C'est ainsi que la seigneurie de Précy passa à la maison des Montmorency.De ce mariage naquirent cinq enfants, trois garçons, puis deux filles. A sa mort, en 1615, son fils aîné Henri devait succéder à son frère Louis. Il était bailli et gouverneur de Senlis en 1614 et mourut l'année suivante sans laisser de descendance. Son frère, François de Montmorency, comte de Bouteville, devint alors à son tour en 1616 bailli et gouverneur de Senlis. En 1617, alors qu'il avait 17 ans, il épousa Elisabeth-Angélique de Vienne qui avait dix ans. Elle était la fille de Jean de Vienne, président de la Chambre des Comptes de Paris.
François de Bouteville habitait le quartier de Saint-Eustache dans une dépendance de l'Abbaye de Royaumont, mais fit de nombreux séjours dans son château de Précy en Isle-de-France. Il était célèbre pour sa fougue et son esprit vif et querelleur. Il était pris de folie pour le duel et avait la riposte rapide, tant avec la dague qu'avec l'épée. A vingt quatre ans, il avait déjà dix neuf duels à son actif. L'année de ses vingt cinq ans, il tua quatorze gentilshommes en duel. Or, le duel était interdit en vertu des édits royaux de Louis XIII. Toutes ses audacieuses infractions à la loi restèrent longtemps impunies. Le comte de Bouteville savait qu'il avait de solides protections. Un jour, cependant, le roi ordonna de sévir. Averti, Bouteville rassembla deux cents amis, tous armés jusqu'aux dents, et quitta Paris en plein jour pour se réfugier aux Pays-Bas où il prit du service dans l'armée du Prince Maurice de Nassau. Le parlement le déclara « déchu des privilèges de noblesse, ignoble, roturier et infâme » et le condamna par contumace « à être pendu et étranglé à une potence croisée en place de Grève, son corps porté à Montfaucon, ses maisons démolies et rasées, les arbres de ses propriétés coupés par le milieu ». Tout cela resta sans effet. L'année suivante, le siège de Bréda étant terminé, Bouteville revint à Paris. On ferma les yeux sur ses crimes. A peine de retour, voilà qu'une querelle éclata entre lui et le comte de Torigny. Bouteville reçut de Torigny un coup d'épée en pleine poitrine mais riposta aussitôt et tua son ennemi. Puis il s'empressa de se retirer quelque temps dans son château de Précy, le temps de faire oublier l'événement. Peu de temps après, eut lieu un autre duel contre un certain La Frète qui l'avait provoqué. L'écuyer de Bouteville y fut tué sur place. De nouveau, il se retira à Précy. Le roi ordonna le maréchal Bassompierre d'arrêter Bouteville et de l'amener sous bonne garde à Paris. Trois compagnies de suisses partirent en pleine nuit vers Précy. Bassompierre investit le château et trouva la place vide. L'oiseau s'était échappé pour se réfugier à Bruxelles où une des filles d'honneur de l'infante Archiduchesse était une Montmorency. Il fut agréablement accueilli jusqu'au jour où l'Archiduchesse, avertie par son neveu, le roi de France, ordonna de l'arrêter, lui et son ami. Elle exigea de Bouteville de promettre de ne jamais se battre sur ses terres. La chose fut entendue et une réconciliation solennelle fut organisée par l'Archiduchesse. Les ennemis s'embrassèrent et firent serment de ne plus parler de l'affaire et de ne plus se provoquer. C'était mal connaître l'orgueil de Bouteville. La séance de réconciliation à peine terminée, il donna libre cours à son irrésistible désir de relever l'insulte. Il quitta les Pays-Bas et gagna la Cour du duc de Lorraine à Nancy.
De là, il provoqua son ennemi. Bouteville et Bussy réglèrent leurs comptes par un duel à Paris. Après cela, il s'enfuit à Vitry-le-Brulé. Le roi lança le Grand Prévôt de France à Précy pour l'arrêter, mais on eut beau fouiller le château et les environs, Bouteville était parti. Averti par la mère de Bussy, qui était mort au cours du duel, Bouteville fut surpris dans son sommeil et conduit en prison.
Gaston d'Orléans, le frère du roi, très lié à François de Bouteville, prit sa défense. Les amis et les parents de la maison de Montmorency en firent autant. Le 3 juin, au moment où le roi sortait de la messe, la Comtesse de Bouteville se jeta à ses pieds et le supplia d'épargner le sang de son époux. Louis XIII passa sans tourner le visage. D'autres tentatives de la part du Prince de Condé, du duc de Montmorency, des ducs d'Angoulême et de Ventadour ne changèrent rien à la décision du roi. Richelieu déclara que l'intérêt de l'Etat exigeait un exemple éclatant. Bouteville envoya une lettre au roi pour exprimer son repentir. La comtesse de Bouteville, enceinte de trois mois, fit une dernière démarche. Au rendez-vous, accablée de douleur elle tomba sur le plancher devant Louis XIII. Il sembla ému et déclara : « Leur perte m'est aussi sensible qu'à vous, mais ma conscience me défend de pardonner ».
Le 21 juin 1627, Bouteville gravit les marches de l'échafaud en place de Grève. Sa mort ne changea pas les moeurs. Au contraire, après un court répit, les duels redoublèrent en nombre.
Les archives paroissiales de Précy attestent que son cœur a été enfermé dans un cœur de plomb portant l'inscription « le coeur de Monsieur le Comte de Bouteville » Il a été déposé dans le caveau de l'église où sa veuve venait souvent se recueillir.Moins de sept mois après la mort de Bouteville, naquit son fils qu'on nomma « François » comme son père. Les registres paroissiaux précisent qu'il est « né le 8 janvier 1628 au château de Précy et a été baptisé le 21 janvier suivant en l'église collégiale de Saint-Pierre et Saint Paul de Précy... ». Son état chétif et maladif fut la cause du baptême tardif, car à l'époque, on baptisait habituellement le jour même de la naissance. François et ses deux soeurs furent élevés au château de Précy.
Le chef de la maison ducale des Montmorency, maréchal et amiral de France, ayant suivi dans sa révolte Gaston d'Orléans, frère du roi, fut arrêté et condamné à mort le 30 octobre 1632. Par testament, il avait légué une large part de sa fortune et de ses seigneuries à François de Montmorency, comte de Bouteville, seigneur de Précy, mais la sentence capitale entraînant la suppression du testament et la confiscation des biens au profit de la couronne de France, le parlement anéantit ce legs. Louis XIII, pris de compassion, refusa d'user de cette prérogative et restitua la succession aux soeurs du condamné. Le lot le plus considérable échut à Charlotte de Montmorency, princesse de Condé. L'amitié de cette princesse avec Madame de Bouteville fit en sorte que l'indignation des Condé se transforma en prodigalités envers la jeune veuve.
François avait un physique disgracieux, un corps malingre « qu'achevait, dit Saint Simon, de déposer une bosse, médiocre par devant, mais très grosse et pointue par derrière avec tout le reste de l'accompagnement ordinaire des bossus ». La beauté légendaire des Montmorency lui avait échappé, mais de toute sa difformité se dégageait une indéniable séduction. « Son visage respirait la grâce et ses manières raffinées l'ornaient de charme et de galanterie ».
C'est sous l'aile de la princesse de Condé, entouré d'une société incomparable de beaux esprits et de grands du royaume, que s'écoula la plus grande partie de la jeunesse de François. Le château de Chantilly n'avait pour lui aucun secret.
A sept ans, Madame de Bouteville conduisit son fils à la Cour pour le présenter au roi. Le prince de Condé, autrefois très ami avec son père, déclara qu'il « se ferait un plaisir d'élever ce dernier rejeton d'une famille qui lui avait été si chère ». Le roi consentit et Condé l'emmena chez lui, le fit instruire et élever avec tous les soins imaginables, lui faisant particulièrement enseigner l'art de monter à cheval et de manier les armes.
A dix sept ans, le jeune Bouteville tomba amoureux de la marquise de Gouville. « L'incarnat vermeil de son teint, l'éclat de ses yeux noirs, les longues boucles soyeuses de ses cheveux d'ébène excitaient l'admiration de tous ceux qui la voyaient ».L'éclat de l'esprit de Bouteville et ses manières pleines de grâce firent oublier les torts de son physique. Il lui fit une cour discrète mais assidue. La marquise le rechercha de plus en plus « pour ses flatteries et ses compliments ». Qu'on le surnomme « le bossu » ne la gênait nullement. « L'Amour rend aveugle » et les amoureux s'échappaient souvent au château de Précy où ils s'abandonnaient l'un à l'autre « à s'éterniser en baisers brûlants ».
Le château de Précy, à l'abandon depuis le départ de la mère de Bouteville s'élevait dans un écran de verdure. « Son parc qui le séparait du village était renommé pour l'âge et la magnificence des différentes espèces d'arbres. Une roseraie aux innombrables fleurs multicolores et odoriférantes faisait l'admiration des invités ». L'air y était pur et tempéré, la rivière et les bois y entretenaient au plus fort de l'été une sorte de fraîcheur. Tout alentour s'étendaient des plaines fertiles, champs de blé ou vertes prairies semées de bouquets d'arbres centenaires qui se reliaient de proche en proche, aux masses épaisses et sombres de la forêt de Chantilly. « Bouteville et sa marquise s'étendaient tout le jour au bord de l'eau claire et profonde de l'Oise, qui coulait avec une douceur endormie au pied d'un rempart de collines servant d'abri contre de vent du nord ».Ils vivaient une passion violente et grandissante jusqu'au moment où Bouteville se ravisa et modéra les chevauchées qu'il faisait avec sa belle dans les sous-bois. Ils s'éloignèrent de moins en moins de Paris et bientôt Précy n'était plus qu'un souvenir. Le caprice se transforma en amitié raisonnable. Condé retira François de la société mondaine et l'emmena avec lui comme aide de camp dans ses campagnes guerrières. C'est ainsi qu'il séjourna pendant six ans à la Cour des Condés à Bruxelles qui était le rendez-vous des princes déchus et l'asile des proscrits. Les enfants exilés de Charles ler d'Angleterre y vivaient, ainsi que Charles IV, duc de Lorraine, alors en guerre avec la France. Quelques années plus tard, Condé arrangea un bon mariage à son protégé sans emploi ni fortune. Il se trouvait que le duché-pairie de Luxembourg, légalement transmissible aux femmes, avait pour seule héritière Marie-Louise de Brantes. Cette dernière avait pris le voile et ne pouvait avoir accès à l'héritage qui restait inutilement en souffrance. Condé obtint une dispense du Pape. Marie Louise de Brantes fut relevée de ses vœux perpétuels, devint dame du palais de la reine avec le titre et rang de princesse. On la nomma chanoinesse du chapitre de Poussay pour éviter toute tentation de mariage. En échange, elle renonça à tous ses droits d'héritage en faveur de sa cadette Madeleine Charlotte qui devint l'épouse de François de Bouteville.
Au lendemain du mariage, le 17 mars 1661, des lettres patentes du roi précisaient qu'il accordait à monsieur François de Montmorency, comte de Bouteville, seigneur de Précy, Blaincourt et Bonqueval, le transfert de nom, titre et armoiries de Luxembourg. Le nouveau duc de Luxembourg, pair de France, fut reçu au parlement et prêta serment le 22 mai 1662 en présence de Condé et de son fils, le duc d'Enghien. Cette séance fut la première et la dernière, car le nouveau duc était en désaccord avec ses pairs sur la préséance à laquelle il prétendait avoir droit . Non content de l'honneur de la duché-pairie, il voulait, du dix huitième rang que lui attribuait l'ancienneté, se porter d'emblée au second, immédiatement après le duc d'Uzès, dont la priorité ne pouvait faire de doute. François de Luxembourg s'appuyait sur les lettres du roi qui n'avaient pas fait en sa faveur une « érection nouvelle » mais le substituaient simplement au lieu et place de ses prédécesseurs dont la pairie datait de 1581. Ce procès de préséance, appelé « l'affaire des tabourets » devait sommeiller pendant 32 ans.Comblé d'honneurs, Luxembourg vit habituellement dans son splendide domaine de Ligny en Lorraine, où il mène un train de vie quasi royal, entouré de son épouse et de ses quatre fils, sur qui pleuvent les bienfaits du roi.
L'été, il fait des séjours prolongés à Précy pour jouir des bienfaits de la campagne et des réceptions au château de Chantilly. A Paris, il a une résidence dans le vaste et luxueux hôtel qu'il possède rue Saint Honoré. C'est là qu'il traite des affaires avec les grands et les belles de ce monde, car malgré tous ses efforts, Luxembourg n'avait pas réussi à se faire admettre à la Cour de Versailles. La cour l'admire tout en le craignant. Sa célébrité d'homme de guerre et de génie qu'on lui reconnaît n'a pu lui valoir ni l'estime ni la sympathie de ses contemporains. Les cruautés exercées autrefois aux Pays Bas et la malédiction des peuples ravagés attachaient, même en France, une sanglante légende à son nom.Rien d'étonnant, de ce fait, à ce que le duc de Luxembourg ait suscité la méfiance et la suspicion dans « l'affaire des poisons ».
Une épidémie de décès suspects amena dès 1679 le lieutenant de Police La Reynie à placer des mouches - autrement dit des indicateurs - dans divers quartiers de Paris. On finit par arrêter la marquise de Brinvilliers, qui avoua tout sous la torture. Comme il s'agissait d'un complot contre le roi, la marquise fut exécutée. Trouver les complices était plus difficile. Paris comptait à peu